Le soleil ne fait pas toujours plaisir à voir n°2

Fermes les yeux Victor, fermes les yeux…

Pour passer une journée supportable Victor ne se levait pas du pied droit, ne posais pas un bol de riz devant la photo de ses ancêtres, dont il avait perdu la trace depuis longtemps, ne s’agenouillait pas les yeux fixant un dieu invisible …Pour Victor la seule façon de ne pas sombrer dans ses souvenirs dés le matin était de ne pas voir le soleil.
Avec les années, sans même y penser il dormait toujours le dos à la fenêtre ou dos à la source de lumière susceptible d’être la plus forte à son réveil…
Avant d’arriver ici, au sein de cette équipe de prisonniers du service des opérations spéciales, Victor avait été incarcéré dans un pénitencier sans nom..
Une cellule blanche, avec cette horrible lumière au plafond, pour l’éviter le matin il fallait s’enfouir le visage dans les draps, à plat ventre et ouvrir très progressivement les paupières..
Mais le seul fait de modifier ses réflexes du matin appelait les souvenirs, comme un poisson mort qui remonte à la surface….

Ta vue se trouble, tu sens tes yeux qui piquent, et tu vois le passé….

Impossible pour le petit enfant de compter les jours enfermé dans ce container…
Abruti par la soif, la faim, la puanteur des corps sales, rendu sourd par les gémissements, insensible par toutes les douleurs…Le temps ne s’écoule plus, le corps ne vit plus, l’humain n’est plus, la conscience cache la raison dans les rêves et un semi-coma…
Toute ta vie Victor tu seras hanté par ce matin, le matin de ta naissance à Paragon..
Comme tous les jours la porte s’ouvre dans un grincement suraigu.
Mais cette fois çi le rite est différent, certain des adultes qui sont proches de la porte s’exclament, quelque chose de plus fort que la peur des coups de bâton les fait parler :
« Nous sommes arrivés..la ville ».
Le petit Victor ouvre les yeux, il ne voit rien, cette clarté fulgurante l’aveugle, puis des formes troubles cachent le soleil, des blancs en costumes d’hommes riches extirpent sans ménagement les hommes et les femmes de la grande boîte de métal.
Les enfants suivent, seuls quelques hommes réussissent à se lever, à tenir sur leurs jambes, mais la majorité ne sent plus depuis longtemps ses membres inférieurs.
Un tas de chair et de haillons, voilà ce qu’ils sont, les « costauds élégants » forment un cercle autour d’eux. Puis un homme encore plus gros, encore plus grand, chauve avec un visage gras et de petits yeux commence à parler fort.
Victor ne comprend pas, les choses vont très vite, les hommes et les femmes sont divisés en plusieurs groupes, les hommes en costumes les tirent par les bras, leur donnent des gifles, des coups de pieds et les éloignent du regard de Victor.
En quelques minutes d’anarchie et de bousculade Victor se retrouve seul avec une autre petite fille un peu moins âgée que lui devant le gros homme.
Il s’approche, Victor n’a jamais vu un homme aussi gros, son visage est tout de graisse, des replis caches ses yeux, ses lèvres sont fines et sèches, il s’approche, chacune de ses mains prend le visage d’un des deux enfants dans une paume gluante de sueur.
Les deux enfants sont pétrifiés par la peur, les mains caressent les visages et l’homme sourit leur chuchotant d’un air satisfait :

« Bienvenue mes mignons petits jouets.. »